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Pour l’écologue C. Garcia, la déforestation est un choix politique
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Claude Garcia du Cirad et de l'ETH Zurich et son équipe internationale alertent sur la déforestation, qu’ils considèrent être la deuxième pandémie. Ils appellent à une nouvelle approche des politiques internationales centrées autour de la prise de décision individuelle, afin d’aboutir à des solutions innovantes. Cette approche a été mise en pratique dans le projet CoForSet, financé par le FFEM.
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Selon vous, pourquoi les politiques internationales actuelles de lutte contre la déforestation sont-elles vouées à l’échec ?
Claude Garcia : Les forêts tropicales contiennent le plus de biodiversité terrestre et qui stockent le plus de carbone. Or ce sont elles qui sont les plus dégradées par les incendies, et les plus susceptibles d’être détruites. La déforestation est toujours causée et amplifiée par cinq facteurs : la démographie, l’économie, la gouvernance, la technologie et la culture (le respect des droits indigènes notamment). Les politiques internationales contre la déforestation sont vouées à l’échec car elles ne prennent pas en compte l’ensemble de ces facteurs, et sont construites sur une représentation fausse et simplifiée de la prise de décision humaine.
La déforestation provient de prises de décisions de multiples acteurs. Nous vivons dans l’Anthropocène : les paysages sont façonnés par les choix humains. La décision humaine est au cœur des changements de territoire. Il est nécessaire de la comprendre pour agir. Le jeu est un moyen de mieux représenter la prise de décision, et permet à tous les acteurs du processus de trouver collectivement des solutions pertinentes à la déforestation.
Grâce au soutien financier du FFEM, nous avons créé un jeu pour un forum de négociation autour des règles de gestion des forêts intactes dans le bassin du Congo, dans le cadre du projet CoForSet. La situation semblait complètement bloquée après deux ans de discussions, à cause des divergences d’intérêts entre les différents acteurs (notamment ceux du secteur minier). L’utilisation d’un jeu de rôle a permis aux représentants des gouvernements, des populations locales, des peuples autochtones, des entreprises certifiées et des ONG de mieux se comprendre et d’aboutir à un accord en seulement trois jours. Cela été la première application d’un jeu pour faciliter la prise de décision dans un forum de négociation régional avec des enjeux environnementaux majeurs.
- En quoi le jeu est-il une façon innovante de faire émerger de nouvelles solutions ?
De façon générale la prise de décision humaine est imparfaite à cause du triple manque d’information, de faculté de traitement et de temps. Le jeu permet de combler ces manques pour aboutir à de meilleurs décisions. Tout d’abord le jeu est une synthétisation de la situation à partir de travaux d’experts, ce qui permet d’avoir une meilleure vue d’ensemble sans se perdre dans la complexité. Les joueurs entrent librement dans la partie, et peuvent voir directement les conséquences de leurs décisions sur le plateau. Ils deviennent responsables de leurs actions. En jouant plusieurs parties ils imaginent ensemble des avenirs possibles, sans avoir besoin de faire confiance à un expert, mais en travaillant collectivement directement sur un modèle calqué sur le réel. Le jeu permet à tous les acteurs de montrer leurs intérêts individuels, pour qu’ils arrivent collectivement à tous les satisfaire.
Cette méthode demande d’investir du temps : deux ans de design et trois jours de négociations ont été nécessaires pour le projet CoForSet. Cela permet finalement de faire émerger collectivement des solutions à des problèmes complexes.
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Est-il possible de répliquer ce modèle dans d’autres contextes ?
Le jeu n’est pas la solution, c’est le fait de penser collectivement les problèmes qui permet de dépasser les blocages. Il faudrait créer un jeu différent pour chaque situation. Cependant les jeux que notre équipe avons créés ont un domaine d’application très vaste.
Par exemple nous avons construit un jeu pour la filière huile de palme au Cameroun, qui a été développé avec les petits producteurs. Nous avons ensuite fait jouer des paysans, des raffineries, des ministres et des exploitants. Nous avons ensuite partagé c jeu avec leurs homologues en Honduras, au Mexique et en Ouganda, qui ont trouvé que cela représente assez fidèlement leur réalité, même si le jeu a été développé dans un contexte géographique différent. En Ouganda, un jeu similaire sur la filière huile de palme a été commandé par qui ?.
Pour faciliter la diffusion de l’utilisation de jeux, il faut atteindre le niveau de décision le plus haut. Le jeu ne fonctionne que s’il est pris en charge et endossé par des décideurs, qui sont les seuls à avoir une réelle capacité à faire changer les choses. Il y a un tabou très fort associé à la notion de jeux, considéré comme un outil manquant de sérieux. Cependant si cette façon d’utiliser notre intelligence collective est reconnue, elle pourrait être utilisée dans des sommets environnementaux de grande ampleur, comme les COP.